MCV/Develop – Star Citizen : Son plan pour les cinq prochaines années
Carl Jones, directeur d’exploitation chez Cloud Imperium Games, a donné une interview à la revue britannique “MCV/Develop” pour parler du prochain déménagement et agrandissement du studio de Manchester et de ce que cela pourrait impliquer pour les cinq prochaines années.

Avant-propos : Cet article fait partie du numéro de janvier 2022 (accessible gratuitement) de la revue britannique “MCV/Develop”, spécialisée dans les aspects commerciaux de l’industrie vidéoludique.
Star Citizen est l’un des jeux les plus controversés et les plus ambitieux développés au cours des dix dernières années. Carl Jones n’est de la partie que depuis sept ans, mais comme les activités de Cloud Imperium Games au Royaume-Uni vont doubler d’ampleur au cours de la prochaine demi-décennie, on peut supposer que le studio financé par crowdfunding aura quelque chose d’important à montrer d’ici là. Richie Shoemaker s’y rend pour découvrir les changements que le déménagement à Manchester pourrait apporter.
Le 10 octobre, cela fera dix ans que le fondateur de Cloud Imperium Games, Chris Roberts, a annoncé Star Citizen à la GDC. Depuis lors, CIG a continué à amasser un trésor de guerre toujours plus grand de recette de crowdfunding, qui s’élève actuellement à 318 millions de livres sterling (422 millions de dollars). Selon la plupart des estimations, cela fait de Star Citizen le jeu qui a eu le plus de succès parmi ceux à n’être jamais sortis. Cela n’a rien de surprenant de la part du créateur des jeux les plus coûteux des années 90, mais ce qui continue de déconcerter les détracteurs, c’est la façon dont, sans aucune date de sortie en vue, CIG continue de recueillir des fonds, dont une part importante provient de la vente de vaisseaux dans le jeu, qui sont non réalisés pour certains, inachevés pour d’autres.
Ce qui plaît à ses 3,4 millions de donateurs, c’est que Star Citizen existe – bien qu’encore en alpha – en dehors des nombreuses normes du développement d’un jeu moderne. Il s’agit de l’exemple le plus extrême d’un titre en accès anticipé, ce qui a permis à CIG de suivre sa propre trajectoire, même si une correction de tir a souvent été nécessaire et que la destination finale semble à jamais lointaine.
Cependant, l’annonce en novembre dernier du déménagement du principal studio de développement de CIG dans le Cheshire vers Enterprise City à Manchester, site des Old Granada Studios, en vue d’agrandir leur effectif jusqu’à 1000 personnes d’ici cinq ans, a semblé suggérer que, même si nous ne saurons jamais où aboutira Star Citizen ou dans quel état il se trouvera lorsqu’il y arrivera, nous pouvons au moins estimer le moment où cela pourrait arriver : cinq ans à partir de maintenant, si nos calculs sont corrects, c’est l’année 2027.
“Je pense que d’ici là, nous aurons entre nos mains un MMORPG de très grande envergure”, déclare Carl Jones, directeur d’exploitation de Cloud Imperium Games. “Il y aura donc beaucoup plus de ressources d’édition, beaucoup plus de maîtres de jeu, plus de soutien aux joueurs. Cela pourrait nous obliger à ouvrir des installations dans d’autres endroits. Pour le moment, nous n’avons pas de présence majeure en Asie-Pacifique et c’est probablement quelque chose qui devra venir à long terme, parce que si votre jeu explose là-bas, alors vous devez vraiment commencer à construire des équipes pour répondre à la demande.”
Jones laisse entendre que si le potentiel d’expansion du nouveau studio de Manchester au-delà de sa capacité prévue de 1000 personnes existe, le monde est quasiment à la portée de CIG. Le studio pourrait se tourner vers l’Europe ou les États-Unis. Le fait est que CIG ressemblera de plus en plus à un éditeur de jeux en ligne : “nous aurons toujours d’énormes ressources de développement, car d’ici là, nous développerons les suites de Squadron 42“.


“Avec un peu de chance, nous pourrons terminer Squadron 42 plus rapidement. Nous voulons que ce jeu soit terminé, mais il sera terminé quand il sera prêt.”
Houlà ! Revenons un peu en arrière. Des suites pour Squadron 42 ? Parce que c’est prévu ?
Squadron 42 est l’acolyte “cinématographique” de Star Citizen, une aventure spatiale solo dans la veine des anciens jeux Wing Commander qui ont fait la renommée de Chris Roberts. Mettant en vedette Mark Hamill, Gillian Anderson et Gary Oldman, le jeu a été annoncé dans le sillage du succès du crowdfunding de Star Citizen pour une sortie initiale en 2014. Non seulement le jeu n’est pas sorti, mais il a été repoussé tant de fois que CIG a adopté la philosophie du “ça sera prêt quand ça sera prêt”. Cependant, comme Chris Roberts est en train de se réinstaller au Royaume-Uni après de nombreuses années à Los Angeles, peut-être pouvons-nous fixer une date de sortie pour ce jeu également, puisqu’il envisage de rester dans le nord-ouest (de l’Angleterre, ndt) pendant deux ans.
“Nous verrons de combien de temps il a besoin pour être terminé. Mais oui, ça pourrait être un ou deux ans de plus”, dit Jones. “Il passe plus de temps ici avec l’équipe de Squadron 42 et avec nos autres développeurs, mais c’est cette année qu’il sera présent pour de plus longues périodes. Nous espérons que cela signifie que nous pourrons terminer Squadron 42 plus rapidement. Nous voulons que ce jeu soit terminé, mais il sera terminé quand il sera prêt.”


OPÉRATIONS TACTIQUES
Jones a déclaré par le passé que son travail consistait à gérer tout ce que Chris Roberts ne voulait pas prendre en charge, ce qui signifie que le directeur d’exploitation de longue date n’est pas la personne à contacter pour les mises à jour sur le développement. Sa priorité est de remettre les bureaux en marche, ainsi que de les déménager. Cela aurait pu être plus facile il y a sept ans, lorsque CIG comptait à peine plus de 100 employés, mais depuis, l’entreprise s’est massivement développée. Aujourd’hui, celle-ci compte des studios et des bureaux non seulement au Royaume-Uni et aux États-Unis (Austin et Los Angeles), mais aussi en Allemagne. Il y a plus de 400 personnes basées au Royaume-Uni et 750 dans le monde, et l’espace est de plus en plus restreint.
“Pendant la pandémie, le nombre a augmenté à un point au-delà de ce que nous avions comme capacité dans nos bureaux, c’est pourquoi nous en cherchons de nouveaux dans la plupart de nos sites. Il est évident que CIG ne se contente pas de développer Star Citizen, nous le diffusons auprès du public, nous le publions nous-mêmes, et il faut énormément de personnel pour gérer tout cela.”
Plusieurs raisons expliquent pourquoi Manchester est le fer de lance de la croissance actuelle et future du studio. L’une d’elles est que CIG est déjà bien établi dans la région, à proximité de l’aéroport de Manchester. Une autre est que Chris Roberts, né en Californie, y a grandi et y a été scolarisé. Et surtout, c’est bon marché. Grâce à l’exonération de l’impôt sur les sociétés pour les studios de jeux vidéo (Video Games Tax Relief for Corporation Tax), accordée par le gouvernement britannique, CIG peut planifier une expansion plus importante qu’ailleurs.
“La disponibilité des ressources est grande au Royaume-Uni”, ajoute Jones. “Ça a toujours été un endroit idéal pour les développeurs de jeux. À l’exception d’il y a environ 20 ans, avec la grande fuite des cerveaux, je pense que nous avons retrouvé une main d’œuvre importante dans ce pays et que nous sommes en mesure d’embaucher des personnes très, très expérimentées. Il est évidemment un peu plus difficile aujourd’hui de faire venir des gens d’Europe, mais nous prévoyons de nous développer également à Francfort. Nous allons doubler de taille à Francfort. Donc oui, tous les studios sont en pleine croissance. Toute l’entreprise est en pleine croissance.”
“Ce sera un site extraordinaire. C’est tout simplement un endroit magnifique et il va y avoir une grande vibe et une grande effervescence pour notre jeune personnel.”


CIG emménagera dans ses bureaux d’Enterprise City au printemps, après une recherche de nouveaux locaux qui aura duré près de trois ans. Il s’agit d’un long processus d’élimination, qui a commencé près du studio de Wilmslow et qui s’est progressivement déplacé vers la périphérie et vers le nord, dans le Grand Manchester puis dans le centre. “Notre but était d’obtenir plus d’espace – c’était l’objectif simple”, dit Jones. “Mais Chris [Roberts] voulait que nous ayons des studios de classe mondiale pour nos développeurs qui le sont tout autant et nous avons donc commencé à examiner ce que nous pouvions obtenir et ce que nous pouvions fournir. À Wilmslow, il n’y avait qu’un seul endroit qui avait une taille suffisante, mais il n’avait tout simplement pas les possibilités d’aménagement que nous recherchions.” La recherche s’est donc déplacée progressivement vers le nord, et les attraits de Manchester, même en plein confinement, sont devenus évidents : “Le développement de jeux est un métier de jeunes. Être dans une banlieue tranquille et verdoyante comme Wilmslow attire un certain groupe de personnes. Mais, si vous êtes jeune et que vous vous lancez dans le secteur, vous voulez pouvoir sortir, vous amuser et bénéficier de nombreux services dans les environs.”
Avec des studios de capture de mouvement à proximité et d’autres liaisons infrastructurelles médiatiques dominant la zone (notamment la salle de concert The Factory), le contrat de location d’Enterprise City a été signé avec enthousiasme l’été dernier. “Ce sera un site extraordinaire”, déclare M. Jones, qui se réjouit de l’emménagement dans le courant de l’année. “C’est tout simplement un endroit magnifique et il va y avoir une grande vibe et une grande effervescence pour notre jeune personnel. Le fait d’être dans le centre de Manchester signifie également qu’il est un peu plus facile de venir au bureau pour une plus grande partie de la population. Nous espérons donc que cela facilitera notre recrutement à plus long terme, afin d’atteindre le nombre d’employés que nous recherchons”.
“Nous avons tout récemment fait revenir la plupart des membres de l’équipe de Squadron 42 dans nos bureaux de Wilmslow. La capacité étant limitée, nous n’avons pas pu faire revenir tout le monde, mais cela a transformé l’ambiance et le moral de l’équipe.”

Des héros locaux ?
Manchester et l’Angleterre du Nord-Ouest sont depuis longtemps une région dynamique en matière de développement, mais dans quelle mesure CIG est-elle intégrée à la communauté locale de développeurs de jeux et comment prévoit-elle de la soutenir à l’avenir ?
“Dans les années 90, tout le Nord-Ouest était un endroit passionnant pour les jeux vidéo”, se souvient Carl Jones. “Pourtant, Manchester ne semble pas vraiment attirer des entreprises comme la nôtre. Il y a un grand nombre de petits studios et nous faisons ce que nous pouvons pour y être impliqués, mais nous sommes plus impliqués au niveau national et avec Manchester en termes de soutien à la ville, ce qui me semble vraiment important. Manchester est aujourd’hui une ville modèle du XXIe siècle. Nous sommes incroyablement fiers d’en faire partie et nous faisons tout ce que nous pouvons pour la soutenir. En conséquence, j’espère que nous apporterons plus de personnes, plus d’entreprises et plus de jeux à la ville.”
LE PRIX DE LA LIBERTÉ
D’aucuns pourraient s’interroger sur la pertinence de déménager dans de nouvelles installations coûteuses en pleine pandémie. Après tout, il existe de nombreuses organisations qui, au cours des deux dernières années, se sont développées bien au-delà du point où elles peuvent offrir à chacun un bureau pour travailler, mais celles-ci sont prêtes à adopter une approche attentiste et à permettre au personnel de travailler à domicile en attendant. “Je pense que l’industrie vidéoludique est un peu différente”, déclare Jones, “et je pense que le développement dans l’industrie vidéoludique est différent de beaucoup d’autres activités. C’est un métier très créatif et très collaboratif, et bien que nous ayons trouvé très facile de faire travailler tout le monde à distance, après cette longue période de travail, nous commençons à réaliser que ce n’est pas la manière idéale de créer des jeux.”
Citant d’innombrables retards dans les jeux au cours des deux dernières années, M. Jones estime que les studios ont eu du mal à maintenir la qualité pendant les confinements successifs et la période plus large de la pandémie.
“De plus en plus de studios parlent de faire revenir les gens pour collaborer. Nous avons tout récemment fait revenir la plupart des membres de l’équipe de Squadron 42 dans nos bureaux de Wilmslow. La capacité étant limitée, nous n’avons pas pu faire revenir tout le monde, mais cela a transformé l’ambiance et le moral de l’équipe.”
Jones donne un exemple où la correction des bugs est facilitée par la proximité des équipes. Alors que pendant le confinement, une demande pouvait rester dans une tâche JIRA pendant deux semaines, elle peut maintenant être traitée sur-le-champ après qu’un ingénieur de l’équipe a été appelé pour y jeter un œil. “Depuis que nous avons été en confinement, tout le monde participe à deux fois plus de réunions sur Teams qu’avant, ce qui fait que celles-ci prenaient beaucoup plus de temps, ce qui signifie qu’il fallait trouver un créneau pour parler à une personne une semaine à l’avance. Alors que lorsque vous êtes au bureau, il est beaucoup plus facile d’avoir cette discussion. Lorsque nous avons ramené l’équipe de Squadron 42 dans nos locaux, les progrès qu’ils ont commencé à faire étaient nettement meilleurs.”
CIG a pris des mesures pour favoriser des horaires plus flexibles et M. Jones affirme que le personnel pourra toujours travailler à domicile lorsque cela est approprié et, bien sûr, lorsque cela est obligatoire. Cependant, il insiste sur le fait que la présence au bureau est un élément clé de la culture du travail chez CIG, notamment lorsqu’il s’agit d’établir et de maintenir le moral et la loyauté du personnel. S’il n’a pas l’occasion de nouer des liens, M. Jones pense que le personnel est plus susceptible de partir. “Nous avons pu embaucher avec beaucoup de succès, mais cela vous montre que les gens quittent leurs anciens postes. Si vous allez dans un bureau huit heures par jour, que vous travaillez avec les mêmes personnes, vous ressentez de la loyauté envers ces personnes. Peu importe si l’entreprise a votre loyauté, vos amis ont votre loyauté. Et je pense que comme les gens se voient de moins en moins, l’esprit d’équipe se dégrade. Il est donc beaucoup plus facile pour les gens de commencer à envisager de changer d’emploi et de passer à autre chose, ce qui, à mon avis, n’arriverait pas s’ils profitaient du temps passé avec leurs amis. C’est ce que nous voulons encourager, cette camaraderie et cet esprit d’équipe qui, je pense, ont été sérieusement écorchés par le travail à distance et le fait de devoir compter sur des outils comme Zoom ou Teams.”

Dans le ‘verse
Nous ne pouvions pas laisser partir Carl Jones sans lui demander ce qu’il pensait du “métavers” et dans quelle mesure Star Citizen pourrait réaliser le potentiel que les défenseurs du concept lui attribuent. Comme on pouvait s’y attendre, il voit Star Citizen comme un jeu immersif, qui offre aux joueurs la possibilité de créer des histoires sociales impactantes. Cependant, il a souligné que ce qui différencie vraiment Star Citizen des autres jeux – qu’ils soient considérés comme des métavers ou non – est son niveau de détail :
“Je pense que personne d’autre n’a la capacité de produire un tel niveau de détail à cette échelle comme nous le faisons. Il est évident que nous avons beaucoup de travail à faire pour créer du fun dans ce contexte, mais nous avons des dizaines de milliers, parfois des centaines de milliers de joueurs, qui apprécient le jeu tel qu’il est aujourd’hui. Peut-être qu’un jour nous aurons quelque chose que les gens appellent un métavers – nous aurons certainement la technologie pour le construire – mais ce n’est pas notre priorité. Pour l’instant, notre objectif est de fournir Star Citizen et Squadron 42 à la communauté qui nous a soutenus.”


Tout en faisant tout ce qu’il peut pour attirer les talents chez CIG dans les mois et les années à venir, M. Jones est conscient de la nécessité d’accroître la diversité, mais aussi du fait que la loyauté dans les rangs fermés peut, si elle n’est pas contrôlée, constituer un terrain propice à la toxicité. À la suite des problèmes qui continuent à affecter Blizzard, a-t-il le sentiment que CIG est un lieu de travail inclusif, ouvert et sain ?
“J’espère bien que oui”, dit-il. “Avant même que les problèmes chez Activision Blizzard ne soient soulevés, nous avions créé nos communautés d’affinités et lancé des programmes visant à accroître la diversité. Notre personnel peut nous dire s’il y a des problèmes et comment nous pouvons les résoudre. Nous organisons fréquemment des réunions internes, même pendant la pandémie. Tout le monde peut poser n’importe quelle question à la direction générale, et nous écoutons. Nous nous engageons à faire tout ce qui est en notre pouvoir pour améliorer la situation, et ce jusqu’au niveau du conseil d’administration, où nous avons convenu qu’il s’agit d’un véritable enjeu pour l’entreprise et que nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour donner le bon exemple.”
“Ce n’est pas quelque chose que l’on résout du jour au lendemain”, ajoute-t-il. “Quand j’ai commencé, c’était une norme acceptée que les garçons aiment les jeux vidéo, les garçons créent des jeux vidéo. Heureusement, cette idée a été abandonnée lorsque les jeux sont devenus populaires auprès de publics plus diversifiés. Avec l’essor des jeux “casuals” et mobiles, le métier de développeur traditionnellement dominé par des hommes blancs est en train de faire partie du passé. Notre public s’est diversifié. J’espère vraiment que CIG est une entreprise inclusive et accueillante, car nous faisons tout ce que nous pouvons pour qu’elle le soit.”

À propos de l'auteur

Passionné de jeux vidéo, j'attends avec impatience Star Citizen et Squadron 42 ! Mais qu'ils prennent leur temps, hein ! 😉