Whitley's Guide - Valkyrie

Cet article a initialement paru dans le magazine Jump Point 7.5

Au début du printemps 2802, une délégation d'ingénieurs, de théoriciens et d'informaticiens travaillant pour Anvil Aerospace réserva sur Terra trois semaines d’utilisation du réseau de superordinateurs de l'Institut Levindosk. À cette époque, Anvil s'était imposé de longue date comme la société aérospatiale de référence pour l’armement militaire et les vaisseaux de combat privés. Fort d'une importante trésorerie acquise grâce au lancement réussi de la version civile du F7 Hornet, Anvil était prêt à investir dans des produits plus spéculatifs plutôt que de continuer à adapter ses contrats gouvernementaux à un usage domestique. Mais avant cela, les planificateurs à long terme de l'entreprise avaient hâte de répondre à une question difficile : de quoi l’avenir serait-il fait ? L'équipe envoyée à Levindosk avait une proposition intrigante pour répondre à cette question. Elle allait mener une simulation de guerre à grande échelle dans l’espoir de prédire les besoins futurs de l'Empire Uni de la Terre en matière de véhicules, au lieu d'attendre que de nouveaux contrats lui soient proposés.

Les jeux de guerre informatiques ne sont en aucun cas une nouveauté : les humains utilisent depuis un millénaire des ordinateurs sophistiqués pour tenter de prédire les tendances futures, ces systèmes ayant connu plus ou moins de succès au fil des générations. En effet, l'armée de l'UEE mène continuellement des simulations de guerre électroniques en utilisant des technologies encore plus puissantes que celles dont disposent les chercheurs civils. Cependant, il est extrêmement rare que de telles analyses soient déclassifiées et, lorsqu'elles le sont, elles concernent généralement des événements passés sans grande valeur pour le secteur aérospatial civil. En outre, les rares résultats disponibles des jeux de guerre de l'UEE portent essentiellement sur les scénarios les plus pessimistes et sont présentés au public à des fins de propagande. Les dirigeants d'Anvil souhaitaient adopter une approche différente, en élaborant uniquement les scénarios incluant la poursuite des activités quotidiennes.

L'équipe d'Anvil arrivée à Levindosk se préparait depuis sept ans, soit plus de temps qu'il n'en fallut finalement à l'équipe d'ingénieurs pour concevoir le vaisseau qui en découla. Le processus impliquait la collecte et l'organisation d’une quantité de données sans précédent dans le secteur privé. Des décennies de données susceptibles d'aider les superordinateurs à imaginer l'état actuel de l'UEE furent collectées et organisées, allant de simples recensements aux observations de mouvements de flottes en passant par les métriques d'utilisation du spectrum. L'équipe d'ingénieurs travailla sans relâche pour dresser un portrait statistique de l'UEE en 2802 afin de permettre aux superordinateurs de traiter des scénarios viables. Les résultats immédiats, qu'il fallut quelque trente-huit mois pour étudier correctement, c’étaient des milliers de scénarios différents susceptibles d'avoir un impact sur les besoins en vaisseaux armés dans les cinq, dix, vingt et trente années suivantes. Résultats ensuite transférés vers un lieu tenu secret à bord d'une flotte de transporteurs de données protégés par des chasseurs d'escorte Hornet de l'entreprise. Sur cette base, une deuxième équipe d'experts s’attela à la longue tâche de relier ces possibilités aux tendances futures du marché.

Au vu des résultats, les analystes d'Anvil passèrent rapidement outre les conclusions évidentes selon lesquelles le conflit vanduul et les guerres futures nécessiteraient des vaisseaux de première ligne plus rapides, plus maniables et plus puissants. Ils se concentrèrent plutôt sur les rôles des vaisseaux de soutien : quel pourrait être le prochain Crucible ? Bien que la plupart des conclusions du groupe restent à ce jour confidentielles, des interviews ont entre-temps révélé leur première constatation : chaque scénario futur impliquant une défaite des Vanduuls exige une avancée significative en matière de vaisseaux de débarquement. Par exemple, si l'Empire décidait de reconquérir des systèmes tels qu’Orion et Virgil, un vaisseau de transport de troupes conçu par Anvil pourrait facilement ouvrir la voie. La technologie requise par ces vaisseaux et la capacité à les produire en masse pour de futures opérations amphibies à grande échelle méritaient donc d'être étudiées.

Avant l'introduction du Valkyrie, les véhicules d'assaut amphibies humains se divisaient en deux catégories : des vaisseaux de transport de troupes, plus petits et plus coûteux, destinés à déployer des escouades pour des opérations spécialisées, et des vaisseaux spatiaux plus grands et sacrifiables, conçus pour déployer des compagnies entières ou des unités d'artillerie mécanisée. L'équipe de conception du Valkyrie voulut trouver un compromis en concevant un vaisseau produit en série, capable de transporter à la fois un peloton de soldats et un véhicule blindé de soutien. Les prévisions du superordinateur d’Anvil suggéraient que les stratèges militaires de l’avenir devaient repenser leur approche traditionnelle des assauts amphibies en vue de futures attaques contre des mondes sous domination vanduul. Si les petites unités d’assaut soutenues par la menace d'un bombardement orbital s’étaient révélées généralement efficaces au cours des derniers siècles de guerre contre les Humains, des attaques massives avec une puissance de feu supplémentaire seraient nécessaires pour conquérir une planète vanduul. Face à ce défi, l'équipe tenta de combler l’écart entre l'Aegis Dynamics Redeemer, utilisé pour envoyer des unités d'opérations spéciales, et les plus gros cargos/vaisseaux de débarquement, utilisés pour le soutien logistique.

Le nouveau vaisseau de débarquement blindé, officiellement désigné comme vaisseau de transport de troupes lourd, serait doté des défenses avancées d'un véhicule de type Redeemer, tout en conservant la taille et les capacités de déploiement d'un vaisseau de transport militaire. Un ensemble de vingt g-sièges sophistiqués maintiendrait les soldats attachés pendant le trajet vers la surface (les blessures à l'atterrissage étant un autre problème avec les vaisseaux de débarquement sacrifiables), et des propulseurs VTOL permettraient au vaisseau d'atterrir et de déployer rapidement troupes et matériel sur un terrain accidenté pas plus grand que le vaisseau lui-même — sans compter la zone de déploiement d’un véhicule si nécessaire). Le nom Valkyrie fut choisi très tôt en hommage à un pilote de l'UEEN volant sous le même indicatif, récemment tué lors d'une mission de reconnaissance ayant permis d'identifier un destroyer Vanduul, bien que l'équipe marketing d'Anvil l'ait finalement présenté en référence à la capacité du vaisseau à transporter des soldats hurlant au combat comme les Valkyries de la mythologie.

La conception aboutit rapidement à un prototype, puis à un prototype de production, avant même que l'idée ne soit présentée aux militaires. Anvil choisit de garder le programme d'essais totalement secret, ce qui donna lieu à plusieurs fuites de photos, que les observateurs de l'aérospatiale interprétèrent à tort comme la preuve que l'entreprise développait un autre chasseur pour l'espace lointain dans le style du Vanguard. Des analyses similaires de l'UEE avaient-elles généré une prédiction identique ? Anvil avait-il bénéficié d'une incroyable coïncidence ? Toujours est-il qu’en 2810, UEE Army et Navy formulèrent une demande conjointe pour un vaisseau lourd capable de déployer rapidement des équipes de combat plus importantes. Anvil fut aussitôt en mesure de présenter le Valkyrie, dont les essais étaient terminés, déjà en vol et prêt pour la production. Un contrat modifié sans appel d'offres suivit rapidement, et les usines d'Anvil commencèrent à produire le premier modèle militaire destiné au service actif en 2812.

Bien que le Valkyrie n'ait pas encore été utilisé pour une invasion à grande échelle, il a déjà fait ses preuves à plusieurs reprises lors de combats dans les régions frontalières. Les rapports de mission louent tout particulièrement sa capacité à déployer immédiatement un véhicule blindé, ce qui constitue en soi une grande amélioration par rapport aux vaisseaux de combat plus petits. Le vaisseau est devenu l'un des favoris des pilotes terrestres de l'UEEN, désormais considéré comme le "meilleur moyen de transport" par les soldats déployés en zones hostiles. Les commandes militaires pour le Valkyrie ont augmenté chaque trimestre et, selon les analyses informatiques à long terme, Anvil prévoit de quasi doubler sa production chaque année dans un avenir proche. À cette fin, la société a investi à travers cinq mondes afin d'augmenter ses capacités de production. Si une invasion planétaire massive venait à se produire, elle constituerait une aubaine encore plus grande pour les actionnaires d'Anvil.

En 2948, Anvil élargit la gamme des Valkyrie avec l'ajout (assez prévisible) d'une variante civile. Le Valkyrie n'ayant pas été développé avec des fonds publics, l'entreprise avait toute latitude de l'adapter plus rapidement au marché civil que ses modèles précédents, tels que le Hornet. Le processus de conversion civile s’avéra particulièrement rapide, seules quelques pièces destinées à des équipements spécifiques de l’UEEA ayant dû être retirées pour des raisons de secret militaire. Le Valkyrie civil est du reste impossible à distinguer de son équivalent militaire, d’autant plus qu’il est produit dans la même usine.

Les Valkyrie civils sont désormais utilisés par des milices locales et des unités de police sur des mondes frontaliers, où le déploiement d'armes plus lourdes sur de grandes distances est particulièrement important. Ce vaisseau a également gagné la faveur inattendue des prospecteurs et autres explorateurs, qui apprécient sa capacité à maintenir et à déployer un véhicule terrestre sur un terrain accidenté avec un faible encombrement. Les explorateurs individuels peuvent poser un Valkyrie sur une concession, y déployer un buggy ou une petite équipe de travailleurs avant de se rendre sur un autre site. Ce processus a considérablement accéléré la prospection minière de certains mondes en permettant à une seule équipe de travail de couvrir trois à cinq sites à la fois. Les prévisionnistes d'Anvil sont impatients de voir si d'autres utilisations se développeront dans l'exploitation minière des astéroïdes ou les disciplines liées à la science.